Pour Bayer, l’initiative est spectaculaire. Quelques semaines après son arrivée à la tête du groupe, le nouveau PDG Werner Baumann ose la plus grosse prise de contrôle de l’histoire de l’entreprise. Selon la presse économique du pays, certains dirigeants de Bayer songeaient en interne depuis longtemps au rapprochement avec Monsanto, mais la possibilité avait toujours été écartée par l’ancien PDG Marijn Dekkers. Son départ, fin avril, a laissé la voie libre à son successeur pour imprimer un tournant dans l’histoire du chimiste allemand.
Vague de consolidation
Monsanto, de son côté, a déclaré la semaine dernière étudier l’offre de Bayer. Pour le groupe installé à Saint-Louis, dans le Missouri, être la cible du groupe allemand est pour le moins ironique : c’est l’américain, par son offre de rachat de son concurrent suisse Sygenta en 2015, qui avait lancé la vague de consolidation qui bouleverse actuellement le secteur de l’agrochimie. Les Suisses avaient refusé l’offre catégoriquement, préférant se rapprocher du chinois Chemchina que du controversé américain. Entre-temps, outre-Atlantique, les deux grands acteurs du marché, Dupont et Dow Chemical, ont annoncé leur fusion.
Par cette offre de rachat, Bayer se saisit d’une opportunité unique de devenir le premier acteur du marché, en se mariant avec un groupe jugé complémentaire dans ses activités et son ancrage géographique. Puissant sur le marché des produits phytosanitaires – notamment grâce aux très contestés pesticides néonicotinoïdes –, Bayer est en revanche un acteur mineur sur celui des semences, avec seulement 1,4 milliard d’euros. Il est surtout présent en Europe et en Asie.
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Monsanto, célèbre pour ses graines génétiquement modifiées, est de son côté le leader mondial du secteur semencier, avec un chiffre d’affaires de 10 milliards d’euros par an. Côté pesticides, il est seulement représenté par le glyphosate. Il est fortement implanté aux Etats-Unis et en Amérique latine. Pour Bayer, la fusion avec Monsanto ferait passer son chiffre d’affaires sur ces deux spécialités – semences et pesticides – de 10,4 à 24 milliards d’euros. L’allemand a réalisé en 2015 un chiffre d’affaires de 46 milliards d’euros, en hausse de 12 % par rapport à l’année précédente.
Opération risquée
Mais l’opération comporte des risques importants. Financier d’abord : Bayer doit mettre sur la table 52 milliards d’euros pour faire venir les dirigeants de Monsanto autour de la table des négociations. Or, l’allemand a déjà racheté en 2014, pour 11 milliards d’euros, le département des médicaments sans ordonnance de Merck & Co. En cas de financement par l’emprunt du rachat de Monsanto, l’endettement de Bayer passerait théoriquement de 16 à quelque 70 milliards d’euros, un niveau très élevé, qui obligerait sans doute le groupe à opérer une augmentation de capital ou à se séparer de certaines activités.
Le risque stratégique n’est pas moindre. Certes, la prise de contrôle de Monsanto est cohérente avec l’orientation Life Sciences (« sciences de la vie ») prise par Bayer depuis quelques années, qui a mis en octobre en Bourse son activité plastique, Covestro. Mais le département Crop Sciences (« sciences des récoltes ») deviendrait le cœur écrasant du groupe, réduisant de facto l’importance de ses autres spécialités : la pharmacie classique et les médicaments vendus sans ordonnance et ceux pour animaux, posant la question de leur maintien à terme. Par ailleurs, Monsanto, confronté à une baisse de ses ventes, a été obligé de se restructurer. Le glyphosate, produit phare du groupe, qui le vend sous la marque Roundup Ready, pourrait se voir retirer l’autorisation de commercialisation en Europe, qui expire au 30 juin. La décision, qui était attendue à Bruxelles jeudi 19 mai, a été reportée faute de consensus. Le gouvernement fédéral allemand est lui-même divisé sur la question.
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Reste le risque en termes d’image. Monsanto n’est pas seulement la bête noire des écologistes, elle suscite le rejet de larges franges de la population et de nombreux politiques. En se mariant à Monsanto, l’inventeur de l’aspirine prend le risque de voir s’effriter la confiance du public sur ses produits pharmaceutiques de grande consommation.
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